Les vertus de la nature en tant qu’outil de politique sociale et remède au mal urbain

Publié le 11 mai 2022
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Développement durable

Avec le souci grandissant de la protection de l’environnement et du bien-être animal, ainsi qu’une demande de plus en plus marquée d’une alimentation saine, durable et équilibrée, la question agricole et alimentaire est aujourd’hui au centre du débat public. Les crises multiples que nous connaissons (sanitaires, sociales, économiques et écologiques) ont rendu particulièrement visibles des fractures existantes dans nos sociétés et la difficulté, pour les personnes les plus précaires, à satisfaire leurs besoins essentiels. Parmi les contraintes inhérentes (mal logement, précarité de l’emploi et alimentaire, fracture numérique…), la pandémie de COVID-19 a remis au cœur des préoccupations les nombreuses failles du système alimentaire et agricole français.

 

Nombreux sont ceux qui prônent que l'agriculture urbaine rende un éventail de services à la ville (le Conseil Économique Social et Environnemental, l’Association Française de l’Agriculture Urbaine Professionnelle…). En retissant les liens à la nature, les habitants des villes favorisent leur bien-être physique et psychologique. Si l’agriculture urbaine n’a pas vocation à assurer l’autonomie alimentaire des villes, elle fournit cependant des services écosystémiques. Elle met en avant les circuits courts de distribution et permet une avancée dans la démarche d’économie sociale et solidaire. Face à une agriculture française en perte de vitesse, l'agriculture urbaine a vocation à créer de nouveaux métiers et des emplois en ville et représente, ainsi, un levier d’insertion professionnelle.

 

Pour les acteurs de l’insertion, investir le champ de l’agriculture urbaine offre également des perspectives pour enrichir les compétences développées par les salariés en parcours d’insertion en fonction des activités autour de la production agricole : animation, vente, distribution, etc. En outre, un parcours d’insertion par l’agriculture urbaine permet à certains salariés en parcours d'insertion de valoriser des expériences antérieures, mises de côté par le fait d'habiter en ville et à d’autres d'être sensibilisés à l’écologie et à l’alimentation durable, tout en retrouvant une confiance en soi.

Elle apparaît ainsi comme une activité apprenante et valorisante, ancrée dans le développement durable et l'émergence des nouveaux métiers urbains. Dans cette optique, l'Insertion par l’Activité Economique (IAE) représente un levier évident pour mettre en place le maillage fonctionnel de l’agriculture urbaine.

 

A travers des ateliers et chantiers d’insertion (ACI), les acteurs de l’insertion axent leur mission principale sur la progression des personnes en favorisant une démarche pédagogique liée à la situation de production, le développement, l’évaluation et la certification des acquis professionnels. Les ACI assurent ainsi des missions d’accueil, d’accompagnement et d’encadrement technique particulièrement adaptées aux personnes en grande difficulté et constituent souvent une première étape de réadaptation au monde du travail. La crise et l’augmentation du nombre de personnes en situation de précarité accentuent leur caractère d’utilité sociale. Les ACI apparaissent alors comme des outils d’aménagement, de participation, de création de richesses, tout en créant un projet collectif de territoire.

 

Cependant, certaines questions peuvent se poser :

  • Quels sont les acteurs porteurs des projets d’insertion par l’agriculture en Île-de-France ?
  • Comment monter un projet d’insertion par l’agriculture urbaine et pérenniser son modèle économique par la suite ?
  • Quelles sont les opportunités d’emploi pour les salariés en fin de parcours ?

 

Le projet Cultivons la Ville et son observatoire des projets d’insertion par l’agriculture en Île-de-France

 

Le réseau CHANTIER école Île-de-France accompagne de nombreux acteurs de l’insertion qui développent des projets autour de l’agriculture urbaine et l’alimentation durable, regroupés autour du projet Cultivons la Ville.

Né en 2017, les deux premières années du projet ont permis la mise en œuvre d’un partenariat entre le CHANTIER école Île-de-France et quatre acteurs de l’insertion : Espaces, Etudes & Chantiers IDF, Halage et Interface Formation. Avec le soutien de la Ville de Paris et du Fonds Social Européen, l’objectif premier était de faciliter la coopération et la mutualisation des moyens entre les membres de ce collectif initial, afin d’appuyer la diversification des activités d’insertion autour de la végétalisation en ville et l’agriculture urbaine.

Depuis 2019, CHANTIER école Île-de-France poursuit le projet Cultivons La Ville, afin d'associer un ensemble plus large d’acteurs de l’insertion ainsi que des porteurs de projets sur le territoire francilien. Une carte des ACI et d’autres projets solidaires en lien avec l’agriculture urbaine et l’alimentation durable a été initiée en 2020. Intégrée sur le site de Cultivons La Ville, le réseau incite les acteurs de l’insertion à nous faire part de leurs projets afin d’alimenter la carte interactive.

En 2021, au titre du projet Cultivons La Ville, le réseau a mené une enquête auprès des structures d’insertion franciliennes dans le cadre d’un observatoire des ACI de la filière agricole. Cet observatoire s’inscrit dans la suite des travaux d’observations thématiques menés depuis 2001 par la délégation francilienne du réseau CHANTIER école.

Au début des années 2000, le collectif “Jardins d'insertion d’Île-de-France regroupait CHANTIER école Île-de-France avec trois autres réseaux : FNARS IDF (aujourd’hui la Fédération des Acteurs de la Solidarité), le réseau Cocagne et Graine de Jardins. Un annuaire publié par le collectif en 2009 recensait 13 jardins d’insertion par l'activité économique répartis sur 5 départements franciliens : 77, 78, 91, 93, 95.

Depuis, de nombreux acteurs de l'insertion en milieu urbain se saisissent de la richesse de ce support, contribuant à l’essor des initiatives permettant à l’agriculture de retrouver sa place en ville ou à proximité. Cette nouvelle étude menée par CHANTIER école Île-de-France, en 2021, a vocation à mettre en lumière l’évolution des projets d’insertion par l’agriculture, en dressant un état des lieux actuel des ACI agricoles en sur la région ; ceci, afin de valoriser et promouvoir les initiatives d’insertion à travers les métiers agricoles, notamment en milieu urbain, et d'appréhender les dynamiques territoriales en Ile-de-France.

 

Les résultats de l’observatoire

 

En 2021, l’enquête a permis d’identifier 25 acteurs de l’insertion actifs dans le domaine de l’agriculture avec 32 ACI implantés dans l’ensemble des départements franciliens, relevant principalement de l’agriculture urbaine et péri-urbaine. Parmi eux, les 19 structures d’insertion franciliennes qui ont participé à notre enquête occupent 48 hectares de sites cultivés en Île-de-France. 441 salariés en parcours d'insertion sont passés par leurs dispositifs en 2021. 

 

Le réseau vous invite à découvrir le premier rapport de l’observatoire :

 

En introduction, un ensemble de définitions et la particularité régionale de l’Île-de-France permettent de comprendre les thématiques en question et les enjeux territoriaux. Puis, le rapport présente des statistiques concernant les structures d’insertion franciliennes et les ACI. Enfin, un annuaire des acteurs rassemble des fiches ACI, afin d’exposer plus précisément les activités et leurs contextes d’implantation, permettant ainsi, une identification claire du champ d’action social, les pratiques mises en œuvre et les partenariats développés avec un ensemble d’acteurs privés et/ou publics.

 

De quelques centaines de mètres carrés de pépinière ou de bacs potagers à plusieurs hectares de champs de maraîchage, les acteurs de l'insertion franciliens participent à la reconquête et la valorisation des friches urbaines et d'autres espaces inutilisés en ville, tout en luttant contre l'étalement urbain. Certains participent à la réhabilitation de potagers historiques, voire le maintien des terres agricoles.

Les activités développées dans le cadre des ACI sont principalement le maraîchage (en pleine terre, en toiture ou autre système de culture hors sol), l'entretien des espaces verts et les travaux d’aménagements paysagers et des activités de collecte et de compostage, afin de valoriser les biodéchets. Les ACI développent également des supports d’insertion autour de la floriculture, la production de plants potagers et d’autres types de cultures adaptées à des petites-surfaces en ville (micro-pousses, fleurs comestibles) ou avec un besoin très faible en lumière (champignons, endives), tout en saisissant les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. En effet, 91% des SIAE questionnées dans le cadre de notre enquête pratiquent une agriculture biologique (certifiée ou non).

Les parcours d’insertion se portent également sur des activités d’animation dans l’objectif d’amener les salariés à améliorer leurs capacités de communication et leur confiance en eux, et de devenir ainsi porte-parole, à leur tour, pour sensibiliser les citoyens. En outre, la vente directe et l'ouverture des sites au public induit des rencontres et des échanges avec une diversité de profils de passage à la ferme (groupes scolaires, clients, bénévoles...). C'est également l'occasion de véhiculer une bonne image du secteur de l'IAE.

 

Quant au foncier, la plupart des ACI sont implantés sur des terrains publics appartenant à des collectivités territoriales ou d'autres types d'établissements publics. Si l'accès au foncier figure parmi les contraintes structurelles qui limitent les capacités de développement des ACI (ex : plafonnement de la production par rapport à la surface disponible et par conséquent du chiffre d’affaires), les résultats de l’observatoire permettent de souligner le rôle clé joué par les pouvoirs publics et d'autres détenteurs de foncier pour faciliter la mise à disposition de terrains et de locaux compatibles avec le développement d’une activité agricole.

 

Les modèles socio-économiques des ACI de la filière agricole

 

Le modèle socio-économique désigne, généralement, les moyens mobilisés au service du projet articulés autour de trois axes principaux : la mission sociale (les richesses humaines), la mission économique (les leviers financiers) et la mission organisationnelle (les alliances).

 

Quant au volet économique, le modèle des ACI est conditionné par un cadre réglementaire spécifique. Les recettes tirées de la commercialisation des biens et services produits ne peuvent couvrir qu’une part égale ou inférieure à 30 % des charges liées à ces activités (jusqu’à 50% avec une dérogation temporaire). Pour couvrir les 70% restant des charges, les structures doivent donc réunir des subventions publiques (dont les aides aux postes financées par l’Etat) et privées, octroyées au titre des services rendus aux territoires. Le réseau constate que de nombreux ACI en Île-de-France rencontrent des difficultés grandissantes pour arriver à réunir les co-financements publics nécessaires, en complément des « aides aux postes IAE », pour assurer leurs missions d’insertion.

 

Quant au chiffre d’affaires issu de la commercialisation des biens et services produits, force est de constater que la production et la vente de denrées agricoles ne suffisent pas à l’équilibre économique des ACI, notamment les projets implantés en milieu urbain nécessitant des frais d’installation importants. Ainsi, de nombreux ACI proposent, en parallèle, des activités pédagogiques et culturelles, des prestations d’accompagnement à la conception des jardins, en vue d’assurer des sources complémentaires de revenu ainsi que des débouchés variés pour les bénéficiaires en insertion.

 

Afin de réunir les financements nécessaires et de bénéficier d’un appui technique par rapport à leurs activités de production, les ACI nouent des partenariats avec une diversité d’acteurs publics et privés tels que des collectivités locales, des fondations, des réseaux thématiques et des organismes de conseil. Des partenaires sociaux leur apportent un soutien dans leurs missions d’accueil et d’accompagnement de publics en difficulté. Des exemples de partenariats sont explicités dans le rapport de l’observatoire.

 

Il est, cependant, difficile de consolider un portrait unique d’un modèle socio-économique pour les ACI de la filière agricole. À cet effet, CHANTIER école Île-de-France, en lien avec la Fédération des acteurs de la solidarité Île-de-France, a problématisé et publié une étude monographique en 2019 sur les modèles socio-économiques des ACI, relevant de divers secteurs d’activité. L'étude avait pour finalité principale de démontrer les spécificités des ACI et l’impossibilité de modéliser ces modèles socio-économiques, et d’accompagner la construction d’une culture commune à tous les partenaires des ACI franciliens sur la thématique des modèles socio-économiques. Pour en savoir plus sur cette étude, vous pouvez consulter le rapport publié sur le site de CHANTIER école Île-de-France.

 

 

Conclusions et perspectives

 

À travers un travail d’enquête et d’analyse des données recueillies, l'observatoire de Cultivons la Ville a été voulu le plus précis possible, afin d’être un support de référence des différents acteurs sur la question des ACI de la filière agricole. Ce dossier permet une ouverture vers des questionnements divers et variés. La problématique la plus récurrente étant la viabilité de ces modèles sur le long terme et des opportunités de suite de parcours dans les métiers de l’agriculture.

Si nous ne disposons pas de statistiques, aujourd’hui, sur les suites de parcours vers des métiers en lien avec le support d’insertion, dans le cadre du projet Cultivons la Ville, le réseau envisage une prochaine étude sur le sujet.

Néanmoins, si l’agriculture urbaine peut susciter des vocations et être vecteur d’insertion via la formation en situation de travail, l’acquisition d’un éventail de compétences et de savoir-être est potentiellement transposable à d’autres activités émergentes liées à la nature en ville ou, plus largement, à l’alimentation durable et l’économie circulaire. Sans oublier le postulat de départ de nombreux acteurs de l’insertion, que la finalité de leurs actions est avant tout de redonner confiance à des personnes éloignées de l’emploi en proposant un tremplin vers l’emploi. Pouvoir valoriser des parcours dans le domaine de la nature en ville permet d’apporter un bien-être physique et psychologique qui n’aurait peut-être pas été trouvé ailleurs.

 

En parallèle de l’enquête menée en 2021 dans le cadre de l’observatoire, le réseau a organisé un événement au titre du projet Cultivons la Ville, dans l’ambition de penser les questions qui interrogent les acteurs de l’insertion et de réunir un ensemble de parties prenantes (institutions, financeurs, aménageurs, chercheurs, le monde agricole…). Ainsi, le 1er Forum des acteurs engagés pour l’insertion par l’agriculture urbaine a réuni 120 personnes le 18 novembre 2021 à la Cité Maraîchère de Romainville.

Le grand nombre de participants et les enseignements de la journée démontrent l'intérêt de poursuivre la réflexion collective à travers des opportunités de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Ceci dans l’ambition de soutenir le développement des ACI et de promouvoir les services rendus au territoire, de valoriser les parcours de formation en agriculture urbaine et de trouver des passerelles avec les entreprises du territoire par rapport aux perspectives d’emploi autour de l’agriculture de proximité. 

N’hésitez pas à consulter le compte rendu de l’événement.

 

Au-delà des projets relevant de l’Insertion par l’Activité Economique, il est à noter que d’autres types d’acteurs associatifs animent des projets d’insertion par le jardin, parmi lesquels les régies de quartiers, regroupés autour du projet Si T’Es Jardin porté par le CNLRQ. D’autres acteurs proposent des parcours découverte des métiers et des formations professionnelles aux métiers liés à l’agriculture et la transition écologique plus globalement (ex: Esperem, ABAJAD, Réseau ETRE, Abiosol…). Ces offres d’accompagnement sont rendues accessibles aux demandeurs d’emploi, grâce au soutien de financements publics notamment, comme le programme Paris Fertile de la Ville de Paris. En 2022, la Région Île-de-France a lancé un appel d’offres pour la mise en œuvre de formations qualifiantes destinées aux demandeurs d’emploi sur le territoire francilien, dans le cadre du Programme régional de formation vers l’emploi (PRFE) 2022-2026. L’agriculture figure parmi les 13 domaines d’activité les plus en tension qui sont visés par le programme.

 

En guise de conclusion, CHANTIER école Île-de-France constate que le projet Cultivons la Ville pourrait tendre vers un réseau encore plus actif qui :

 

  • Contribue au développement et à l’essaimage de nouveaux projets d’insertion par l’agriculture urbaine.
  • Promeut les partenariats avec des acteurs et des réseaux encore plus diversifiés.
  • Soit un porte-parole des ACI sur le territoire, afin de mettre en valeur les impacts sociétaux des initiatives portées par les acteurs de l’insertion.
  • S’appuie sur les expériences menées et acquises pour les diffuser et étayer un plaidoyer.

 

 

Pour plus d’information sur CHANTIER école Île-de-France : http://iledefrance.chantierecole.org/

 

Pour toute information à propos de Cultivons la Ville, veuillez contacter l’équipe projet : contact@cultivonslaville.org